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Jacob, Esaü, le fils prodigue et le grand frère.

samedi 6 mars 2010, par Abbé Philippe Laguérie

En ce samedi de carême (2ème semaine), l’Église joue d’audace en juxtaposant les deux récits de Genèse (27, 6-40) et de l’Evangile de Luc (15, 11-32). Je crois à l’inspiration par l’Esprit Saint de chacun des textes de l’Ecriture, parce que je suis chrétien. Et pour la même raison, je crois aussi à l’intervention du même Esprit dans le génie qui a présidé à la répartition de ces textes dans la liturgie catholique. Lex orandi, lex credendi.

L’Eglise nous propose donc cette analogie métaphorique (et, je crois aussi de proportionnalité !) à quatre termes. Tîchons d’en dire la signification.

Je laisse de côté la question morale, inextricable pour tous ceux qui veulent, coûte que coûte, justifier les procédés bizarres de Jacob et surtout de sa très futée mère, Rébecca. L’une fait mentir l’autre et tous deux s’associent à tromper le vieil Isaac en profitant de sa cécité. Pas très joli ! Ce sont l’un et l’autre des filous qui tentent, réalisent et réussissent une belle tromperie. "Non est mendacium, sed est mysterium" dira Saint Augustin. Disons que la dernière partie de sa phrase est juste... Dieu a voulu le résultat de ce mensonge, mais c’est un mensonge. Est mendacium sed et est mysterium. Jacob peut bien dire qu’il est le fils aîné, puisque son frère lui a vendu ce droit, mais il ne saurait prétendre être Esaü.

Maintenant allons-y. Esaü est au grand frère ce que Jacob est au fils prodigue, pour la métaphore. Ou mieux, Esaü est à Jacob ce que le grand frère est au prodigue, pour respecter la proportionnalité. Quelle est la "ratio communis" ?

Les deux gagnants sont évidents : Jacob et le prodigue. Ils roulent et supplantent respectivement leurs frères aînés, alors que leurs procédés sont l’un et l’autre plus que discutables. La fraude pour Jacob, la vie dissolue pour le prodigue. les deux "floués" ont raison sur le fond : Esaü est bien l’aîné, tout comme l’autre, exempts de toute faute dans les récits.

Sortent bénis et vainqueurs de ces récits, les deux fraudeurs. Sortent floués et laissés pour compte, les deux aînés. La valeur commune de ces deux récits semble bien être cette bénédiction, cette faveur de Dieu, cette préférence divine qui est dérobée aux deux routiniers et acquise aux deux coquins. Non pas, bien sûr, qu’il nous soit loisible d’imiter en rien leur procédés ; l’analogie ne porte pas là-dessus, évidemment. Mais à l’arrivée, Dieu préfère ces îmes entières et revenues, que la routine et les acquis sociaux. Les premiers sont les derniers, les derniers sont les premiers. "Il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui fait pénitence que pour cent justes qui n’en n’ont pas besoin".

Nul doute que l’Église nous avertit, par cette très audacieuse juxtaposition, que le passé que nous trimballons, non seulement ne doit pas nous décourager, mais pourrait bien nous acquérir une faveur supplémentaire de Dieu, si nous savons en revenir, quitter cette déplorable routine.

"J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü" dit Dieu, qui ne s’embarrasse pas de circonvolutions, de périphrases, ou de distinctions subtiles. Qui que vous soyez, on peut tuer le veau gras pour vous, chers amis, si vous revenez à Dieu, tandis que l’aîné n’y a jamais eu droit et ne profite même pas de la fête légitime qu’organise le père. C’est un blasé, un technocrate, un bourgeois, un fonctionnaire. Il ne sait même plus la chance qu’il a de travailler aux côtés d’un tel père ("Tout ce qui est à moi est à toi" !) et, en bon intendant, d’en faire profiter le plus grand nombre possible. C’est pourquoi il se cramponne à son poste en étriqué jaloux et voudrait fermer l’accès du toit paternel à cet intrus. Comme c’est le père qui décide, il reste dehors à faire sa crise d’ado. Allez, le prodigue ne va pas vous faire le coup de jacob, vous prendre votre place, voyons.

J’arrête là. Je sens que je vais déraper sur le Motu Proprio, les paroisses personnelles et mon futur grand séminaire...

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