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L’ivraie et le blé.

lundi 8 novembre 2010, par Abbé Philippe Laguérie

Le bon grain, dit-on généralement. « Triticum » : c’est le blé, tout simplement. Ce qui fait notre pain quotidien et que le Maître avisé donne régulièrement aux gens de sa maison. L’ivraie, « Zizania », c’est cette plante, très belle aussi, qui ressemble au blé à s’y méprendre. Elle est plus petite, comporte les mêmes épis, quoiqu’ils ne renferment aucun grain comestible et se trouve mortelle pour tous ceux qui l’avaleraient. Non pas qu’elle recèle quelque poison, mais ses fameux épis, très doux au toucher dans le « sens du poil » sont un véritable hameçon dans l’autre sens qui déchire tout ce qu’il touche. La zizanie, c’est aussi un album d’ « Astérix » le gaulois où s’illustre un certain Caius Détritus qui met la pagaille partout où il passe et que César envoie aux irréductibles gaulois pour en venir à bout…

Mais mon propos n’est pas moral, au contraire. Il me semble que cette parabole du 5ème dimanche après l’Epiphanie est strictement dogmatique et concerne uniquement la morale divine, en rien la nôtre. Je m’explique.

A première lecture d’une parabole, je suppose que vous avez le même réflexe que moi. Vous cherchez la morale de l’histoire et, pour peu que vous soyez bien intentionné ce jour là et touché par la grâce, vous seriez près à prendre les résolutions nécessaires. Vous avez raison. Mais rien, dans celle-ci, n’induit un comportement moral précis et il n’y a pas de morale de l’histoire.

Si morale il y avait, elle serait plutôt curieuse et à rebours de bien d’autres des Evangiles. Voyons d’abord ce qu’elle n’est pas.

La morale de cette parabole ne saurait être une passivité (même active) devant le mal. Une sorte d’hindouisme diffus qui se résigne à ignorer le mal dans une indifférence voulue. Puisque le mal existe et que je ne saurais en venir à bout, je fais comme si il n’existait pas et j’affiche consciencieusement cette impuissante sagesse. Version occidentale décadente : « Peace and love », non violence, « faites l’amour, pas la guerre » etc. Tout dans l’Evangile répugne à une telle attitude. « Soyez vainqueur du mal par le bien » hurle saint-Paul dans l’Epitre aux Romains et c’est bien « celui qui croit que Jésus est le Christ, qui est vainqueur du monde ». Cette morale des vaincus et des impuissants n’est qu’une calomnie nietzschéenne, étrangère à l’Evangile. Les mieux placés à pouvoir vraiment s’engager contre le mal sont les chrétiens.

Au-delà de ce pessimisme foncier, pourrait sévir un optimisme béat, bien plus de mode et tout aussi pervers. En laissant le bien et le mal s’affronter, le vrai et le faux, le laid et le beau, c’est toujours le bien qui va l’emporter, forcément. Il n’est que de laisser faire et d’assister, complice et heureux, à la victoire des « forces de progrès » sur l’autodestruction du mal. La vérité n’a-t-elle pas une force innée et décisive sur l’erreur et le mensonge ? Les hommes sont-ils si méchants qu’ils préfèreraient les ténèbres à la lumière, le mensonge à la vérité ? Dieu n’est-Il pas plus fort que l’Autre, que diable ! Une thèse chère au libéralisme et aux libéraux : « laissez les croître l’un et l’autre (vérité et erreur, vertus et vices) jusqu’à la moisson » et alors… vous constaterez que l’ivraie a disparu, miracle ! Oui, véritable miracle, que n’annonce absolument pas cette page sublime de nos évangiles. La vérité est diamétralement opposée et autrement réaliste. Dans ces duels pathétiques c’est toujours le mal qui l’emporte, l’erreur, la laideur et même très souvent l’horreur. Dans une corbeille de fruits, les beaux pourrissent au contact des moisis et l’on n’a jamais vu un fruit gîté se réajuster sur les sains. Dans une classe, c’est l’élève corrompu qui gangrène les autres et non point la masse qui convertit l’insensé. La vertu n’est guère contagieuse, le vice l’est bigrement. Et il n’est nullement besoin du péché originel (qui n’arrange rien, certes) pour expliquer la chose. La vertu est difficile et facile le vice, voilà tout. Demandez aux cyclistes et ils seront unanimes à vous avouer que les côtes sont laborieuses et reposantes les descentes, même si un bel entrainement et une longue discipline leur fait préférer les premières. Il y a quelque chose d’exaltant pour l’esprit dans le vrai, le bien, le beau (c’est évident) mais leur conquête est toujours chose ardue, longue, difficile et instable.

Une telle passivité devant le mal, qu’elle soit celle d’une impossible victoire ou celle d’un inutile combat, ne saurait figurer dans les leçons d’une parabole de Notre Seigneur ! Tout l’Evangile nous presse de nous ruer contre le mal, jusqu’à s’en couper une main ou un pied, voir même à s’en arracher un œil. Cherchez ailleurs la passivité orientale !

Tout simplement parce que cette parabole est dogmatique et signale le comportement réel du Seigneur et non point l’attitude souhaitée des hommes. La question nous est posée presque chaque jour : mais que fait Dieu devant le mal, bonté divine ? S’Il est Tout-Puissant, comme vous dites, pourquoi n’arrête-t-Il pas le mal ? C’est donc qu’Il est impuissant. Pire encore, s’Il est vraiment Tout-Puissant, comme vous dites, Il pourrait donc arrêter le mal ; c’est donc qu’Il ne le veut pas et qu’Il est méchant ?

Courte vue dans les deux cas, nous répond tranquillement le Seigneur. D’où vient le mal ? C’est l’ennemi (Inimicus homo, précise la vulgate, pour qu’on aille point se retrancher trop facilement derrière le diable, comme on va voir) qui a fait cela. C’est Dieu qui a tout créé et « Voilà que c’était très bon ». Rien de manichéen, encore moins de gnostique. Ne pas voir le mal où il n’est pas est la condition première pour le voir où il est. Tout est bon, y compris la matière, le corps, leur usage etc. Tous ces obsédés du sexe et qui se payent le luxe, de surcroit, de le dresser contre Dieu, devraient y réfléchir deux minutes : l’inventeur du sexe, c’est évidemment Dieu et qui a trouvé ça « Valde bona ». Le mal ? C’est l’homme, oui, le cœur de l’homme, non pas ce qui rentre dans l’homme, dira le Seigneur avec génie, mais ce qui en sort. Les mauvaises pensées, les faux témoignages, les calomnies, les adultères, les meurtres…Voilà ce qui souille l’homme. C’est l’homme qui dérègle la création et Dieu, pour respecter le bien qu’Il y a mis se doit de ne pas toucher au mal qui s’y trouve mélangé.

Ainsi, bonne mise pour tout le monde. Les justes se frottent au mal et y trouvent une occasion supplémentaire de prouver leur amour de Dieu et de la justice du Royaume des cieux. Les méchants jouissent d’un moratoire éventuellement salutaire ou qui confirmera leur méchanceté, selon la parole de l’Apocalypse : « Que celui qui est saint se sanctifie encore et que le pervers se pervertisse encore ». Dieu aussi y trouve son compte. Différer sa justice est une manière éclatante d’exercer sa miséricorde, de pouvoir toujours l’exercer aussi longtemps que possible, autant qu’Il le souhaite, en définitive.

Quant à la morale de l’histoire, il n’y en a pas. Ou plutôt elle se trouve dans l’Epitre juxtaposée de saint Paul : s’armer de patience, de bonté, de longanimité, d’entrailles de miséricorde, supportant les autres et rendant le bien pour le mal. On laisse à Dieu la vengeance et la rétribution et on amasse des charbons de feu sur la tête de ses ennemis. Ne jamais adopter leur comportement, sous quelque prétexte que ce soit. Et Dieu sait combien c’est tentant, puisqu’après tout celui qui se sert de l’épée devrait périr par l’épée ! Nous devons pourtant exercer une patience à très court terme quand Dieu, Lui, en exerce une à très long terme.

Une exception, et de taille, à cette morale privée du Nouveau-Testament : l’exercice de l’Autorité. Dès lors que vous détenez cette parcelle du pouvoir divin, vous devez extirper, autant que faire se peut, du domaine de votre champ, le mal qui s’y trouve. Quel père de famille pourrait renvoyer dos à dos ses deux fils en lutte quand l’un est manifestement le spoliateur de l’autre ? Quel maître de classe peut punir l’ensemble pour la faute de l’un ? Quelle société peut mettre criminel et victime à pied d’égalité ? C’est là que le gouvernement divin, qui peut seul intégrer tous les paramètres et dont le pouvoir est infini comme sans appel, s’autorise d’une salutaire patience qui serait chez l’homme du laxisme ou de l’incompétence. On peut bien, il le faut, imiter la patience de Dieu dans ses jugements. Reste que l’homme travaillera toujours à courte vue tandis que Dieu porte sur toutes choses un regard exempt du temps…En cela les jugements de Dieu sont insondables et obéissent à une logique qui n’est pas de ce monde.

Messages

  • L’ivraie est une plante toxique à cause de ses grains souvent infestés par un champignon, Neotyphodium coenophialum et contenant de ce fait des alcaloïdes, notamment la loline, aux propriétés narcotiques[2].

    Des empoisonnements se produisaient autrefois chez l’homme quand la farine de blé était contaminée par des graines d’ivraie, mais cela a disparu de nos jours avec la mécanisation de l’agriculture. Les animaux de pâture peuvent également être empoisonnés par cette plante. Autrefois des vendeurs de chevaux indélicats nourrissaient leur chevaux vicieux avec de l’ivraie enivrante pour leur donner une apparence trompeuse douce et docile...

  • Monsieur l’abbé,

    Pardonnez-moi ce retard dans mon commentaire, mais j’approuve votre réflexion sur la vérité. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle triomphe dans les pires difficultés. Un certain optimisme béat que l’on peut retrouver dans l’euphorie post conciliaire a pourtant pensé le contraire.

    Quelle illusion !

    L’expérience de tous les jours nous prouve radicalement le contraire. Ce n’est pas toujours la vérité qui attire les hommes, loin de là. Il y a bien des choses incompréhensibles, et même scandaleuses, de leur part.

    D’où ces deux réflexions :

    1) Jean GUITTON disait qu’à la différence de l’erreur, la vérité n’est jamais séduisante. Elle a l’apparence contre elle. Inversement, l’erreur est séduisante. Si l’on peut dire, elle a la facilité avec elle, le manteau attirant, mais - hélas - mensonger. Par définition, les hommes, quand ils font le choix de la facilité, font concomitamment celui de l’erreur. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ces deux mouvements qui ne sont qu’un. L’homme (ou la femme) préfèrera le divorce, l’avortement, le concubinage, j’en passe et des meilleurs... On peut multiplier les exemples. La vérité, c’est l’humilité, le refus du confort, l’obligation de se rappeler que l’on est petit, tout petit.

    2) D’un point de vue pratique, bien des choix opérés par les humains sont contestables. Ce n’est pas toujours - et c’est même l’inverse - le meilleur, le plus avisé qui s’impose. Souvent, on constate des décisions et des réactions incompréhensibles. Telle personne que l’on croyait fine et judicieuse s’avère aveugle au final. J’ai pu en faire l’expérience. Il est dommage que certains clercs n’aient pas été pas plus lucides que certains fidèles. Nous, les fidèles, nous voyons la nature humaine sans artifices. Il est triste de voir que certains théologiens n’aient pas eu les lumières de ceux qui relèvent d’un état imparfait.

    En vous remerciant pour ces réflexions salutaires, je vous souhaite, Monsieur l’abbé, une bonne continuation et un bon courage dans vos nouvelles implantations !

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