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Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’avez- vous abandonné ?

lundi 9 avril 2007, par Le secrétaire

Cher Monsieur l’abbé,

En cette semaine sainte, j’ai du mal à comprendre la signification exacte de ces paroles prononcées par Notre Seigneur sur la croix : "mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez- vous abandonné ?"

J’imagine bien que c’est la nature humaine de Notre Seigneur qui s’exprime. Mais puisqu’il est Dieu lui même, comme peut-il se sentir abandonné de sa propre Nature divine, qui de plus, et de toute évidence, ne l’a pas abandonné ?

Bien respectueusement,

Charles-Henri - Paris

Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’avez- vous abandonné ?

9 avril 2007 23:07, par Abbé Philippe Laguérie

Bien cher Charles-Henri,

Cette phrase de Notre-Seigneur sur la croix est certes la plus mystérieuse de toutes celles que Notre Sauveur ait jamais prononcées. Elle continuera d’étonner et de surprendre toutes les générations chrétiennes jusqu’à ce que nous comprenions, au ciel, la charité dont nous avons été aimés par le Père et le Fils, dans l’Esprit-Saint. En attendant, il n’est pas inutile d’en délimiter les contours théologiques pour qu’elle ne vienne pas nous scandaliser, là même où la charité de Dieu atteint son point culminant.

D’aucuns se contentent de dire que N.S. a récité intégralement sur la croix le Psaume 21 dont cette phrase est le premier verset. Outre qu’une telle affirmation n’est pas prouvable par l’Evangile (bien au contraire) elle suppose que Notre Seigneur n’aurait pas fait siennes toutes et chacune des paroles mises sur ses lèvres par les évangélistes sur la croix. Nous affirmons que Notre Seigneur a bien prononcé cette phrase stupéfiante parce qu’Il le voulait, le pensait, le souffrait…

Alors évidemment, comment le Fils bien-aimé de Dieu, objet de toutes les complaisances du Père, qui jouissait en permanence de la vision de l’essence divine jusqu’aux limites extrêmes de la capacité de son îme humaine et qui affirme sans cesse dans l’Evangile son unité substantielle avec Dieu (le Père et Moi nous sommes Un) peut-Il, ne serait-ce qu’un instant se dire abandonné par Lui. Notons, pour la suite, que lorsque Notre-Seigneur parle de Dieu, Il désigne le Père, la première personne de la Trinité Sainte, avec Laquelle Il partage, dans l’Esprit-Saint, la divinité, la puissance, la gloire, la béatitude ; bref, tous les attributs éternels de l’unique nature divine…Ce qui ne fait que compliquer la question !

On notera cependant, ce qui ne résout en rien la question, que Jésus parle ici comme homme, selon son humanité. Selon sa divinité, cette phrase n’aurait aucun sens possible et serait une négation pure et simple de l’unité substantielle de la Trinité. Le Christ de Dieu a deux natures et agit selon l’une ou l’autre (jamais selon les deux à la fois) quoique ce soit toujours son unique personne de Verbe de Dieu qui agisse par l’une ou l’autre.

Jésus, comme homme, celui que Saint Paul ose appeler « homo Jesus-Christus » dans l’épître à Timothée, a bel et bien été abandonné par Dieu (alors considéré comme trine ; Jésus ne dit pas « Mon Père, mon Père, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » mais « Mon Dieu, mon Dieu », preuve évidente qu’II parle comme homme. Eh oui, quel paradoxe ( !), avec son Père Jésus n’est qu’un (par nature) alors qu’ils sont deux (personnes) ; avec « son Dieu » (et le nôtre !) ils font deux alors même que leur intimité et leur union est le fondement même de notre Espérance en Lui.

C’est donc cette intimité et cette union de « l’homme Jésus-Christ » avec « son Dieu » qui sont rompus dans la passion et qui met Notre Sauveur dans le comble de la souffrance, le point culminant de sa douleur et donc de sa charité à notre égard. Là, il nous faut faire appel à Saint Paul qui ose (encore et toujours lui) une entrée fracassante dans ce mystère de l’abandon (la déréliction disent savamment les théologiens) du Fils de Dieu. Notons quand même que si la rupture avec « notre Dieu » pouvait nous faire aussi mal, nous serions de bons chrétiens…

Saint Paul, ce pharisien expert en Ecriture Sainte, découvre la Foi en Jésus sur le chemin de Damas dans une violence et une lumière extrêmes. Il mettra des années à faire la synthèse entre ce qu’il sait du Christ théorique de l’Ancien Testament et ce qu’il a vu de la réalité de ce Christ ressuscité, resplendissant d’une telle gloire que le soleil de l’Orient à midi n’est plus que ténèbres épaisses…Que nous soyons sauvés par un Messie condamné à mort et « mis au rang des scélérats » était déjà une révolution dans la tête de ce juif qui surpassait en judaïsme tous ses congénères. Mais une phrase du Deutéronome (Deut 21,22-23) le scandalise : « maudit soit celui qui pend au bois ». Elle visait les condamnés à une mort particulièrement infîme. On devait se dépêcher d’enterrer ce mort avant la nuit car « le pendu est une malédiction de Dieu » qui rend impur le sol, la terre, l’héritage de Dieu. Comment être sauvé par un maudit ?

C’est ce texte qui a fait comprendre à saint Paul jusqu’où le Seigneur était allé dans sa Passion. Deux textes de l’Apôtre sont formels à ce sujet : « Celui qui n’avait pas connu le péché Il l’a fait péché pour nous » (2 Cor 5, 21) et « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, devenu Lui-même malédiction pour nous, car il est écrit : maudit quiconque pend au gibet » (Gal 3, 13).

Il ressort de ces deux textes que le Christ n’a pas seulement porté les peines dues à nos péchés, par les souffrances physiques et morales de Sa passion. Il a connu, avec l’acuité particulière due à son innocence d’une part et à son intimité absolue avec Dieu, d’autre part, la juste réprobation et la malédiction du pécheur. Sans péché, Il a subi pourtant la conséquence la plus terrible du péché : la réprobation, la faute, la coulpe du pécheur. Sans quoi, d’ailleurs, on pourrait toujours dire qu’Il n’aurait pas porté, subi, enduré le pire du péché…Il y a toujours dans l’innocence une consolation infinie dont le Christ, par amour pour nous, n’a pas voulu être réconforté. Seul le pécheur peut savoir et souffrir ce qu’il en coûte de l’être, à raison même de la Foi qui lui dit sa misère extrême. On peut toujours plaindre les « pauvres » pécheurs et prier pour eux ; reste qu’un juste, sauf grâce particulière, ne peut pas se mettre à leur place et souffrir autant qu’eux. Quand le Seigneur, du haut de sa croix, lance ce cri déchirant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? », c’est qu’Il souffre vraiment comme s’Il était un pécheur, Lui, le Saint des Saints, le poids insupportable, surtout pour Lui, du péché lui-même.

Et cela n’empêche en rien, au contraire, qu’Il est et qu’Il demeure le Fils béni des prédilections divines. La théologie blasphématoire d’un père qui se plait ainsi à écraser son fils sous le poids de sa justice n’a rien à voir ici. C’est un pur scandale inventé par les pires des modernistes pour dénigrer la vraie théologie de la Rédemption. Elle oublie tout simplement que la volonté divine qui décide et accepte la Passion est celle-là même de Jésus comme Fils de Dieu, absolument une et unique avec celle du Père. C’est Jésus, donc, un ici avec son Père et le Saint-Esprit qui décide pour Lui, comme homme, ce moyen inimaginable de notre salut. Et c’est ce moyen qui va non seulement satisfaire surabondamment pour nos fautes mais introduire Jésus ressuscité, en tant qu’homme, dans une gloire et une intimité divine incomparables comme inconnues jusque-là. C’est l’Introït de Pâques que nous devons citer en entier : « Je suis ressuscité et de nouveau avec Toi, Tu as posé sur moi ta main et ta science (à mon sujet) est devenue admirable ». On s’étonne que le Christ ressuscité soit si différent d’avant, si étranger, presque, à cette terre, si intouchable (Marie-Madeleine en saura quelque chose) si mystérieux qu’Il en devient méconnaissable…C’est qu’évidemment, après un tel baptême, Il est, comme homme encore une fois, immergé dans l’intimité de Dieu ; oui, ailleurs ! « Votre Dieu et Mon Dieu » dira-t-Il aux saintes femmes…

Le mystère restera toujours entier et insondable, pour sûr. Mais qu’au moins nous comprenions un peu moins mal de quelle façon nous avons été aimés et que la passion de Jésus est entièrement une question de charité. Le prix infini versé à Dieu pour nos péchés, c’est la charité infinie de son Christ. Saint Paul aux Hébreux : « C’est par l’Esprit-Saint qu’Il s’est offert à Dieu ».

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