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Tentation de la dernière heure ?

vendredi 23 mars 2007, par Le secrétaire

Cher Monsieur L’Abbé Laguérie,

J’ai fait la connaissance de la Messe Traditionelle à Saint Nicolas-du-Chardonnet en 1988. C’était pendant la troisième année de mes études en français. Plus tard, je me suis rapproché d’une communauté sédévacantiste En 1998 j’ai abandonné definitivement la position sédévacantiste.

Le problème (et la raison pour laquelle je vous écris cette missive) : je suis en train de lire Introduction to Christianity le livre que Monseigneur Tissier de Mallerais a caractérisé l’année dernière comme : "rempli d’hérésies". Malheureusement je me trouve en accord avec la caractérisation de Mgr. Tissier de Mallerais.

En somme je vous écris, Monsieur l’Abbé, pour vous demander de me donner votre conseil sur la matière de ce livre écrit par le Pape en 1968. Je ne sais pas si vous l’avez lu. Serait-il une bonne idée de poursuivre une réconciliation ? Est-ce que la lecture de ce livre constate une tentation de la dernière heure ? En tout cas je me vois très perplexe en conscience.

Mr O’Neil -Usa-

Tentation de la dernière heure ?

23 mars 2007 23:31, par Abbé Philippe Laguérie

Cher monsieur

Je n’ai pas lu le livre du Pape dont vous parlez, quoique j’en aie lu quelques autres, plus anciens. Je n’ai pas lu, non plus les réflexions de Mgr de Mallerais à ce sujet. Je réponds quand même à votre question, parce qu’elle ressemble vraiment à un appel et nul ne pourra nier votre franchise évidente.

Que le Pape par le passé, quelqu’ait été son influence eu égard aux postes prestigieux qu’il a occupés, ait eu une théologie surprenante et même des affirmations inexplicables (telle, par exemple, son herméneutique, disons extravagante, sur le sens à donner à l’affirmation de la divinité de Jésus-Christ) est une chose établie par l’histoire. On peut le déplorer, certes, mais certainement pas tabler là-dessus pour induire un jugement actuel sur le Pape régnant. Cette attitude serait profondément injuste, fausse et bien plus scandaleuse que le mal qu’elle entend dénoncer. Je m’explique.

Qu’on aille chercher dans le passé intellectuel d’un homme les raisons de ses choix actuels pour y trouver des causes, des explications, des pistes de compréhension est une démarche légitime. Elle apporte bien souvent des lumières. Qui peut comprendre Rousseau et son « Emile » sans savoir que ce donneur de leçon en matière d’éducation avait d’abord placé ses cinq enfants à l’assistance publique ? Qui peut comprendre Nietzsche s’il n’a pas d’abord une petite idée du gouffre sans fond de la désespérance d’un Schopenhauer, de la pensé allemande en général et luthérienne en particulier ? « Le monde n’est qu’une entre-mangerie sans fin ». « Vous qui entrez ici, laissez toute espérance ». Même l’enfer de Dante n’est que le club-méd. au regard de la noirceur de cette pensée.

En revanche, qu’on veuille forcer un homme au déterminisme intellectuel au terme duquel sa pensée d’hier sera toujours celle de demain, son action d’aujourd’hui toujours dictée par celle d’hier, n’est pas seulement faux et injuste : déjà monstrueux au regard de la nature, ce l’est plus encore (oui monstrueux) au regard de la grâce. On en revient aux auteurs précédents, véritables chiens crevés au fil de l’eau avec pour devise cette sentence de Baudelaire : « chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas ! ». Inexorable n’est pas un mot catholique.

La grâce d’un homme et le regard d’un chrétien nous incitent au contraire, très exactement. Dieu merci. Il n’y a rien d’inexorable dans le cheminement d’un homme, quelque soit son parcours. Qu’il monte ou qu’il descende, qu’il marche vers la lumière ou qu’il s’en écarte, qu’il soit fidèle ou se dérobe à la grâce : rien n’est écrit, ni de son côté ni du côté de Dieu. Le déterminisme, même et surtout intellectuel, est une hérésie maintes fois condamnée.

Ceci étant précisé et pour en revenir au Pape, je trouve profondément injuste de s’appuyer sur les écrits d’un homme qui ont cinquante ans et plus pour en déduire de ses intentions et de ses décisions actuelles. D’autant que le tout jeune abbé Ratzinger est très vite le secrétaire du Père Karl Rahner, le plus célèbre théologien et expert du Concile et dont on connaît la théologie explosive sur l’Eglise des « chrétiens anonymes ». A-t-il choisi ce poste et cet embarquement ? Cette influence et ce conditionnement ? Celui qui peut prétendre être tout de suite affranchi de la pensée de ses maîtres ne prouve qu’une seule chose : qu’il n’a été qu’un élève très médiocre.

Allons plus loin. Qu’un homme, au fil des ans, des expériences, des responsabilités soit capable de mûrir, de rectifier, de préciser, de corriger au besoin les acquis de sa formation pour les porter à ce degré de sagesse si haut de leur point de départ, est particulièrement admirable ! La plupart des « penseurs » fait d’ordinaire le chemin en sens inverse qui, partis de petites certitudes à la va-vite finissent dans le pathos languissant du généralement admis. Le Pape Benoît XVI s’attaque (presque) seul et (presque) contre tous à réintégrer la pensée et le Magistère de l’Eglise dans une optique résolument traditionnelle et alors même que cette tîche, particulièrement difficile et périlleuse après un concile dont la caractéristique est l’ambiguïté irénique, il se trouve quelque trublion, jusque dans nos rangs, pour exhumer une pensée d’hier contre les faits d’aujourd’hui. C’est odieux.

D’autant que l’histoire est parsemée, heureusement, de ces ascensions grandioses qui caractérisent, parce qu’elles viennent du côté où on ne les attendait pas, le doigt de Dieu. Le Pape Pie IX était tout sauf un réactionnaire et les deux premières années de son pontificat furent plutôt un compromis avec les ennemis de l’Eglise. Mais quand il eut compris à qui il avait affaire, il devint le fougueux et intrépide pape du « syllabus » et de « Quanta cura ». Les Pères de l’Eglise étaient majoritairement platoniciens, ce qui n’est pas la meilleure philosophie ! Qui pourra dire qu’ils ont dirigé l’Eglise avec négligence ou déviance ? Saint Bernard ne voulait pas admettre l’Immaculée Conception (non définie alors) mais je vous souhaite la piété mariale de ce réfractaire ! Et ainsi de suite…

Ils feraient mieux de travailler, derrière le Pape et avec les rares courageux qui s’y aventurent, à remettre ordre et clarté dans la doctrine, la liturgie, la vie de l’Eglise tous ces paresseux qui s’en dédouanent par une argutie obsolète. Et remercier Dieu qu’en moins de deux ans l’horizon de l’Eglise ait changé de façon aussi spectaculaire qu’inattendue. Mais il faut des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, un cœur aussi, et surtout une intelligence pour savoir d’où l’on vient. Ce gigantesque travail n’en est qu’à ses débuts, je vous l’accorde. Mais ouvrez les yeux : il a commencé ! Vous qualifiez donc très bien ce phénomène comme La tentation de la dernière heure.

Messages

  • Bonjour bonsoir mon Père
    je vous suis depuis quelques temps
    je comprends pas tout mais je m’intéresse beaucoup à vos réflexions j’y puisent des lumières et des références qui alimentent mes curiosités
    j’ai rejoint la messe traditionnelle
    J’ai traversé en deux ans des épreuves
    sans ma foi et son Amour je n’aurais pas pu tenir
    merci mon Père pour tous vos différents partages
    Joëlle Ciocco

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