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Un tournant ?

vendredi 4 mars 2011, par Abbé Philippe Laguérie

Sans doute le vieux pilote que je suis (12 points à mon permis, ne vous déplaise) plutôt retraité à vrai dire à l’heure qu’il est, sait d’instinct qu’un vrai tournant se négocie, se prépare, se gère, avant, pendant, après… Se déporter du côté opposé en adaptant la vitesse, couper sec en accélérant et finir en largeur pour remettre dans l’axe. Tout un art !

Encore faut-il qu’il y ait un tournant certain, vrai, incontournable. Car à dire vrai, négocier un supposé tournant en pleine ligne droite est le plus sûr moyen de se jeter dans le décor, avec ceci de très humiliant que, précisément, il n’y avait aucun obstacle.

C’est un peu à ce jeu puéril que se prêtent bon nombre de chroniqueurs divers qui prophétisent savamment, sur des indices hypothétiques, un radical tournant dans le pontificat du pape Benoît XVI. Mais le plus comique est qu’ils voudraient, nous entrainant d’un irénisme béat à une sinistrose contagieuse, nous forcer, nous contraindre même sous la menace, à prendre position sur des évènements futurs. Voyons ces faits.

Il y a d’abord la béatification du pape Jean-Paul II, le premier mai prochain (Et non 1er avril, comme j’avais d’abord écrit, pardon).

Il y a ensuite le décret d’application du Motu proprio. On nous prophétise celui-là en opposition avec celui-ci.

Il y a l’annonce d’un Assise III, prévu pour octobre.

Commençons par ce dernier point qui ne peut évidemment rien apporter de bon, en soi. On peut bien trouver mille opportunités et devoir prendre mille précautions : les risques de syncrétisme, de relativisme et de scandale sont inéluctables parce que consubstantiels à ce genre de rassemblements. Le lieu-tenant de Jésus-Christ sur terre se met lui-même, et l’Eglise qu’il gouverne, au niveau des sectes diaboliques ou des religions qui refusent le Représenté ou encore le représentant lui même. La caractéristique de la religion du Christ, depuis les apôtres, c’est son auto-revendication comme détenant la vérité que les autres n’ont pas. Les autres peuvent avoir « des vérités » (quelque semence du Verbe, justement) mais non point La Vérité, parce que l’unique vérité catholique c’est le Christ Lui-même. C’est toute la doctrine de Saint-Jean (entre autres apôtres) concernant justement le (beau) Bon-Pasteur. Avant même de se définir Lui-même comme le bon berger qui octroie le vrai pîturage, Jésus affirme d’abord qu’il est la porte. « Je suis la porte des brebis… » Nul ne vient au Père que par Lui et ceux qui entreraient par une autre issue, escaladent les murs ou percent les toits, sont des brigands et des larrons. Est-ce assez clair ? Ce n’est absolument pas dire que cette grâce de Jésus n’est donnée que dans son Eglise, mais c’est toujours par Lui et même par Elle. Inviter les responsables de religions en tant que tels, en tant qu’ils les président, et même dans l’hypothèse qu’ils y feraient du bien, c’est leur donner une reconnaissance à laquelle ils n’ont pas droit et la récuser à celui qui la détient. C’est admettre les concubines en la demeure de l’épouse. Que dire d’un majordome qui imposerait cela à l’époux fidèle et pensez-vous bien détenir son aval ?

« Qui n’est pas contre vous est avec vous » dit le Seigneur, lorsqu’Il envoie ses apôtres en mission. Soit. C’est l’union dans une cause. On a tous rencontré dans notre vie de ces braves qui nous sont bien plus utiles que les convaincus de la première heure. A l’échelon individuel, tous les coups sont permis, qui profitent à la cause du Nom. Saint-Paul se plaint, aux romains, de ces gens qui annoncent le Christ avec des intentions mauvaises (précisément de dénigrer la fonction officielle de l’Apôtre) et il conclut, magnanime « Qu’importe, puisque le Christ est annoncé » ! On pourrait même utiliser, matériellement, quelque doctrine vraie d’une fausse religion. Mais ceci n’a rien à voir avec notre propos. Il s’agit des groupes constitués, représentés par leurs responsables, donc de leur rassemblement en corps constitués dans des doctrines schismatiques, hérétiques, athées ou blasphématoires. C’est inadmissible au regard de la Foi et je remercie les bobos de services qui m’auraient prêté quelque évolution là-dessus. Le Christ est très net : « Qui n’est pas avec Moi est contre Moi, qui n’amasse pas avec Moi dissipe ». C’est l’unité du corps catholique. Saint-Paul a passé la moitié de sa vie dans les synagogues mais toujours pour annoncer le Christ. Au fond, Assise, 1 2 3 ou x, c’est rendre le Christ facultatif, faire de l’Eglise une auberge espagnole et déshonorer, par sa Tête, le moindre de ses membres, le plus humble des baptisés.

J’en viens au deuxième point et serai bref. Vous me permettrez simplement d’attendre le document pour en juger. Et je vous prie d’en faire autant, sauf à vouloir nous couvrir de ridicule. Les Madame soleil improvisées, les caïds du lendemain et les diseuses de bonne aventure n’ont pas grand-chose à faire sous le ciel de l’Eglise. Surtout pas de sommer les gens normaux d’avoir à prendre position sur leurs fantasmes élucubratoires. Le Motu proprio, malgré ses limites, a été une divine surprise et vous feriez mieux de prier pour en obtenir une autre que de fouiner les viscères.

Quant au premier, je vous dis simplement que je serai très heureux de savoir le pape Jean-Paul II au ciel. Si vous le souhaitez en enfer, vous avez un sacré problème. Saint Vincent Ferrier, qui priait pour le salut de…Lucifer, était plus chrétien que vous. Je vous rappelle que la béatification d’une personne ne dit que cela et même sans aucune garantie d’infaillibilité aux dires de l’ensemble des théologiens catholiques. La béatification n’est pas de ce domaine puisqu’elle ne dit rien quant à la Foi ou les mœurs (Pas même de manière connexe). On a une preuve très récente de cette vieille affirmation théologique : la décentralisation de ce prononcé aux évêques qui (ouvrez les yeux) ne sont pas infaillibles. Tout comme, par exemple, la reconnaissance des apparitions privées qui n’engage en rien l’infaillibilité de l’Eglise. Par ailleurs, si Dieu a fait un miracle, il vaudrait mieux vous taire. La vraie question théologique est celle de la canonisation qui engage ce domaine puisque, en affirmant qu’un homme a vécu jusqu’à l’héroïsme les vertus chrétiennes et qu’il est un modèle (Règle ou canon) de la morale catholique, l’Eglise tranche en l’un de ses domaines propres. Je souhaite évidemment qu’aucun pape ne prononce une canonisation de ce type. Il n’y aurait alors que la soumission respectueuse ou le sédévacantisme. Tertium non datur. Je ne crois pas du tout à cette troisième, énoncée par Mgr Fellay dans son interview au Canada. Elle consiste à relever un défaut d’intention dans l’utilisation du charisme d’infaillibilité. C’est l’acte même de la canonisation qui relève de ce domaine. L’intention est posée du fait même de l’acte (vous savez que Jean veut se lever de sa chaise quand…il se lève et tant qu’il reste assis vous ne pouvez présumer de son intention de se lever : il ne l’a pas). Enfin cet externisme de Saint-Thomas, sacramentel ou autre, évite seul de juger continuellement d’une chose qui n’est affirmable que…par ses actes, précisément. Allez, soyons francs. J’aurais bien aimé qu’on fasse passer le pape Pie XII avec Jean-Paul II comme on a fait passer Pie IX avec Jean XXIII. Mais c’est quitter la théologique, domaine du vrai, pour celui de la politique, domaine de l’inavouable…

Pour conclure. Je veux bien négocier tous les tournants que vous voulez, dès lors que vous m’aurez convaincu qu’il y a bien un tournant. Ce qui supposerait que nous fussions en pleine ligne droite, n’est-ce pas ? Je conclurais plutôt qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, sauf à dire que, depuis le pontificat de Benoît XVI, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Allons donc, comme dit l’autre, ça se saurait. Cette barque « qui prenait l’eau de toute part » se serait métamorphosée en un navire rutilant ? Certes ce nouvel Assise n’a rien de cohérent avec le début du pontificat. La peur est de mauvais conseil. Les attaques physiques contre les églises d’orient et les attaques morales contres les églises d’occident expliquent, sans excuser, cette attitude grégaire. Se rassembler, avec qui, contre quoi ? Et surtout pourquoi faire ? L’impérialisme islamique n’a de limite que la force et ce genre de démonstrations l’amuse. Mais ce n’est absolument pas nouveau, ni objectivement, ni subjectivement. Encore une fois, crier au tournant quand on est dans une suite de méandres est plus qu’hasardeux. On peut bien déceler une relîche dans la vigilance ou plutôt dans la bienveillance, une lassitude. Prendre des pincettes, user de délicatesse avec le monde tradi après l’affaire Williamson et devant l’échec quasi-annoncé (par cette dernière) des discussions avec la Fraternité Saint Pie X, (avec la fin cauchemardesque inéluctable à des discussions doctrinales avec Rome, on vous avait prévenus) relèverait, là encore, de l’héroïcité des vertus. On n’y est pas, manifestement. Coup à droite, coup à gauche, ça balance encore et toujours, ça s’en va et ça revient et ce roulis vous donne le tournis. Sur cette barque de Pierre, vous avez le mal de mer ? Normal.

Ajoutez à cela que ce pape n’est pas éternel et vous aurez compris que la crise n’est ni derrière ni devant : on est toujours en plein dedans.

Messages

  • Merci monsieur l’abbé pour cette leçon de conduite !

    Mortimer ( 12 points également )

  • Mon père,

    J’ai lu avec attention ce billet, excellent comme de coutume, et particulièrement le passage sur Assise III et la perspective oecuménique.
    J’ai immédiatement pensé à un développement du Cardinal Barbarin sur l’Islam et précisément l’apprentissage de la chahâda. Le cardinal parlait de cet apprentissage qu’il a effectué "au cas où il se trouverait au chevet d’un musulman" afin de le mettre en face de Dieu et de lui rappeler "les mots de son enfance".
    Sur ce point qui nous ramène au dialogue interreligieux, mon père, qu’en pensez-vous ?

    • Cher Monsieur, merci. Je réponds par une anecdote. Un jour que je déjeûnais à Saint Nicolas, violent accident de voiture sur le boulevard Saint-Germain. Je descends avec les huiles et grimpe dans le Samu où un jeune arabe ruisselait de sang. Je lui dis que je suis prêtre catholique et que, s’il veut, je le baptise. Il réfléchit, ses yeux noirs et vifs, et me dit "oui". Croyez-vous en Jésus-Christ, Fils de Dieu ? Même réponse, vif argent, "oui". Je lui demande alors de répéter avec moi : "Jésus-Christ est le Fils de Dieu". Il le dit, avec force et conviction. Je demande de l’eau au pompier de service, pantois, qui se fait alors "enguilander" par son chef comme un incapable notoire : "Tu es pompier et tu ne sais pas trouver de l’eau" ! L’eau arrive et je baptise mon cher arabe. Quinze jours plus tard, je le retrouve, sauvé, à l’hôpital. Il reconnait les faits, sa confession, sa liberté. Me remercie même. Quand je lui dis qu’il est chrétien pour toujours, en lui expliquant la grâce de son baptême, il se contente de déclarer, penaud : "Oui, mais nous avons tous le même Dieu". Voilà à quoi mène ce dialogue inter-religieux détestable. C’est vraiment le SIDA spirituel : une immuno- déficience acquise et ...transmissible, hélas.

    • Merci mon père pour cette réponse.
      Seulement, je ne vous cache pas une certaine gêne quant à la situation limite que vous exposez.
      Ce jeune homme, étourdi, bousculé par cet accident soudain pouvait-il avoir une idée claire distincte de ce que vous lui proposiez (conséquences, implications) ? En cela vous me répondrez sans doute que Dieu sonde les coeurs et que la raison peut s’assoupir.
      Mais enfin, il me semble qu’il faut être rendu à soi-même pour un tel choix ; un choix d’une ampleur ineffable.
      En ce qui concerne la fin de votre réponse, mon père, et cette réflexion du jeune ("nous avons tous le même Dieu"), je crois qu’elle est surtout le résultat d’une dialogue inter-religieux au rabais : un dialogue toujours simplifié, vendu pour un sou. Sans avoir votre verve, je rejoins complètement votre critique : je puis dialoguer ou débattre avec un protestant, un musulman, un juif : seulement, de quel dialogue s’agit-il ? N’arrivant pas à concevoir d’arrangements doctrinaux possibles, il me semble que parler de la pluie et du beau temps suffira...

    • Une seule remarque,

      Ce que vous dites est très juste. A ceci près que nous sommes dans un cas de danger de mort immédiate(il baignait dans son sang) et qu’on ne peut pas se promettre des lustres pour réfléchir. Il y a d’ailleurs une lucidité aigüe dans les grandes frayeurs, comme ce fut le cas.

    • Il y a aussi cet exemple d’orthodoxes voulant abjurer l’erreur pour se faire catholiques qui s’entendirent répondre par certaines ..Autorités de l’Église :
      " Non non, demeurez orthodoxes cela pourrait nuire au dialogue oecuménique."
      Pourtant le pape lui-même ne cesse de nous de parler du danger du relativisme religieux.
      La meilleure façon d’enrayer le relativisme religieux n’elle-t-elle pas de dire les vrais choses au bon moment, quand c’est vraiment le temps, au lieu de perdre son temps à faire semblant de réparer les pots cassés avec un dialogue genre tour de babel ?
      Le plus dramatique dans la vie, c’est pas que nous obtenons ce que nous voulons pas ; le plus dramatique dans la vie, c’est que nous finissons toujours par avoir ce que nous voulons.

  • Merci Monsieur l’abbé pour ce commentaire réaliste. Il y a lieu d’être inquiet de l’interprétation syncrétiste qui ne manquera pas d’être faite par les médias de l’événement d’Assise III. Et le grand public n’en aura connaissance que par les médias. Cela dit le traitement de la question n’aurait-il pas relevé de la méthode que vous employez pour la question numéro deux ? De même qu’il faut attendre la parution du décret d’application pour juger de sa conformité ou non au Motu Proprio, ne serait-il pas préférable d’attendre que l’événement ait eu lieu pour se prononcer ? Car enfin, ne peut-on pas penser avec quelque soupçon de raison que le pape Benoît XVI voit dans la version III l’occasion pour lui d’exprimer les réserves qu’avaient eu le cardinal Ratzinger sur les versions I et II et de resituer la démarche dans le cadre d’une herméneutique de la continuité ? Optimiste ? Avec l’Eglise, il ne faut jamais désespérer, vous le savez bien.

    • Bien cher Monsieur,

      Je voudrais bien partager avec vous cet optimisme chromosomique qui vous habite ! Pourquoi, effectivement ne pas appliquer le même critère "Wait an see" dans l’un et l’autre cas ? Je suis même persuadé, avec vous, que le pape va éviter le syncrétisme le plus possible, peut-être même remettre quelques belles pendules à l’heure... (A vérifier tout de même).

      N’empêche : il y a une question de principe dans une réunion comme Assise, sa structure, son mode opératoire : la mise à égalité des "religions". Cet aspect est indépendant de ce que le pape en fera au concret, qu’on doit présumer le meilleur. On peut en juger hors du temps. Ce très mauvais moyen, scandaleux pour les petits de Jésus-Christ et par conséquent pour le plus grand nombre, ne justifiera jamais la fin la plus légitime. Selon la belle sentence de Saint-Paul : "Ne faisons jamais le mal pour qu’il en arrive un bien".

  • Merci Monsieur l’Abbé pour cette belle leçon de réalisme qui tranche avec l’aveuglement de ceux qui souhaiteraient que leurs désirs deviennent réalité et que le combat ne soit plus nécessaire.
    Si vous me permettez, je regrette que vous restiez flou sur la béatification de Jean-Paul II : la question importante n’est pas de savoir si on le souhaite en enfer - qui oserait ! - ni si cet acte engage l’infaillibilité de l’Eglise. La question me semble en premier lieu l’enseignement de l’Eglise et la désorientation que provoquera cet exemple.

    Que direz vous au catéchumène qui vous expliquera que toutes les religions se valent si le pape qui a embrassé le coran est un modèle de pasteur ?
    Un exemple : allez sur l’accueil du site : http://www.nullecontrainteenislam.com/ . Une animation tourne où l’on voit... Jean Paul II. De quoi décourager des générations de missionnaires que ne remplacera pas le monde tradi, aussi dynamique qu’il soit.

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