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Mélancolie française.
mardi 23 mars 2010, par
Je me suis régalé à la lecture du dernier livre d’Eric Zemmour, disons-le tout net. Vif, ardent, passionné, et synthétique avec ça. Ce livre aborde les vrais problèmes, historiques et actuels, à bras le corps, sans le pathos assez courant des historiens universitaires qui passent leur temps, en nous faisant perdre du nôtre, à nuancer infiniment, jusqu’à détruire, chacune de leurs affirmations… Avec une érudition qui ne leurs cède en rien.
Eric Zemmour écrit bien, ne l’envoie pas dire, n’a peur de rien, surtout pas des mots, pose les vraies questions et tranche les débats. Lecture garantie intellectuellement saine et mentalement hygiénique. Une simple thérapie justifierait amplement ces lignes, à une époque de langue de bois.
Mais sa thèse formidable, qui est celle de l’empire, est le grand remède au nationalisme et à ses ravages. Pour Zemmour, on n’échappe pas à l’empire, pour le meilleur ou pour le pire. Il est en fond de toile de toute réalisation politique digne de ce nom. En plein comme en creux, pour le meilleur ou pour le pire, présent ou rêvé.
Je ne partage sà »rement pas toutes les thèses de l’auteur, loin s’en faut, en particulier quand il applique à l’époque révolutionnaire les mêmes critères que ceux de l’Antiquité ou du Moyen-îge. Reste que le problème est bien posé, inéluctable, lumineux.
Ce non (encore) chrétien comprend bien mieux la vocation certaine de la France à faire l’unité de l’Europe que nombre de chrétiens, qui se gargarisent encore et toujours de sa grandeur passée sans voir le fiasco qu’elle a présidé. Et pas seulement par ses infidélités révolutionnaires, mais en refusant sa vocation à bâtir l’empire européen.
Que ce soient dans les pages lumineuses de Michel de Jaeghere à l’université d’été de Renaissance Catholique (Le Choc des Civilisations, 2003) ou dans les descriptions de Zemmour, il faut convenir que l’empire romain restera, par sa durée, son droit, sa prospérité et sa paix, la plus belle machine à civiliser parue sous le ciel. Quand je songe que les français s’amusent plutôt aux facéties d’Astérix et d’Obélix, parce qu’ils résistent encore à l’envahisseur. Gaulois, trop gaulois, vraiment. La plus grande faveur d’un peuple de l’Antiquité est d’avoir été conquis un jour par cette machine de guerre qui apportait la paix et, avec elle, la prospérité, la culture, le droit, pour des siècles. L’écroulement de l’empire apporte la barbarie et, ne fà »t-ce le christianisme, qui avait lui aussi pris son terreau là , la civilisation recule de huit siècles.
On notera la cause principale, d’après les deux auteurs cités, de l’effondrement de l’empire romain : une crise démographique. Les citoyens ne font plus assez d’enfants pour entretenir leur armée invincible et légendaire. Ils doivent y enrôler des barbares qui, le jour venu, les submergeront, pas tellement par le nombre (Cf. M. de Jaeghere) mais par la trahison. Ils n’amassent plus, ils dissipent… Zemmour prophétise sans peine une autre chute.
Rétablir l’empire d’Occident le plus tôt possible, après le tsunami des barbares, était une nécessité politique incontournable, et pas seulement un rêve. Entre les quatre siècles de paix romaine et les deux de pillage barbare, y a pas photo ! On peut même dire qu’on y est parvenu en deux temps, par les victoires de Clovis et sa conversion, puis l’avènement des maires du palais. Charlemagne est bien à la tête de l’empire rétabli. Sacré par le pape, la paix romaine règne dans ses états et les barbares perdent chaque année le terrain qu’il leurs reprend d’avril à septembre. Il unifie sous l’égide de Rome son vaste empire et relance la civilisation tous azimuts : écoles, monastères, droit romain, unification de la liturgie, philosophie, arts etc. Aux vertus des romains a succédé la Foi catholique et romaine, moteur de la civilisation, îme de l’empire, voilà tout.
D’accord avec Zemmour pour affirmer que c’était la vocation et le privilège de la France de rebâtir l’empire d’occident, je récuse cependant son procédé. L’empire, pour l’auteur, doit se forger au fil de l’épée, fruit de conquêtes guerrières incessantes dont la simple interruption est synonyme de ruine. Ce qui lui permet des parallélismes redoutables entre l’empire romain, celui de Charlemagne, de Charles-Quint, de Napoléon, des autrichiens, des anglais, de l’Allemagne… La domination semble, tout au long du livre, le moteur de l’indispensable empire ! Et que le meilleur gagne.
La vérité est tout autre, heureusement. Certes, il faut une belle armée, et longtemps victorieuse pour constituer un empire paisible. Mais tel n’en est pas le formel, Dieu merci, et mieux vaudrait y renoncer. Pour unir des peuples éparpillés dans un ensemble qui les dépasse, les dompte et les unisse, il faut un projet de civilisation commun et unique au service duquel ils travaillent, mal gré d’abord, bon gré ensuite. Voilà le génie de l’empire, mettre la diversité qui mène à l’anarchie et au « chacun pour soi  » au service d’un bien commun, nécessairement géré temporellement (contre l’utopie iréniste).
Tous les empires à s’y être essayé avaient ce ciment indispensable, bon ou mauvais. Alexandre, le génie grec, en lequel il voulait unir l’orient à l’occident. Rome, les vertus déjà mentionnées, grecques aussi. Les sarracènes, l’Islam. Charlemagne (et Charles-Quint ?) la Foi Catholique. Napoléon, la Révolution comme produit d’exportation. Les anglais, le fric de leur commerce, idem pour l’oncle Sam. Les nazis, leur supériorité raciale. Les soviétiques, la révolution marxiste… Unir, d’accord. Mais pourquoi, par quelle idéologie, sous quel projet et au service de qui ? Voilà la question déterminante, étrangement absente de la problématique valide d’Eric Zemmour.
Il a pourtant raison de dire que la France pouvait seule et devait faire l’unité de l’Europe, le nouvel empire d’occident à la supériorité civilisationnelle écrasante. Elle ne l’a pas fait, c’est son infidélité. Cela explique aussi qu’ayant démissionné de cette prérogative providentielle, elle ait finalement semé la révolution dans tout l’univers…Corruptio optimi pessima.
Maintenant que la France n’est plus, ou presque rien, il en convient, Zemmour n’en démord pas. Il voudrait repartir à la conquête par l’annexion de la Wallonie. Pourquoi pas du Valais, tant qu’on y est ? Faire une France de 80 millions d’habitants qui puisse damer le pion à l’Europe allemande actuelle. Trop tard quand même, conclue-t-il, notre démographie, la meilleure d’Europe pourtant, n’y suffira pas. L’empire va s’effondrer, avant que d’avoir vécu, et pour les mêmes raisons que son aïeul romain. Qui pourrait réussir où Bonaparte a échoué ?
L’empire est mort, vive l’empire ! C’est beau d’aimer la France à ce point !
Mélancolie, quand tu nous tiens !