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Prière du vendredi saint
samedi 23 février 2008, par
Cher Monsieur l’Abbé,
Tout d’abord mes félicitations pour tout le travail que vous accomplissez et pour le souci constant que vous avez de vouloir la sanctification du troupeau.
Ma question porte, suite à la promulgation d’une nouvelle oraison pour la conversion des juifs par le pape.
Pourriez-vous nous donner votre éclairage sur le sujet ? S’agit-il d’une promulgation diplomatique ? S’agit-il d’une promulgation qui reste dans le cadre d’une possible réforme liturgique au sens catholique du terme ?
Je vous remercie par avance de votre réponse sur ce sujet délicat et fort important.
Marie-Alix Doutrebente
Prière du vendredi saint
23 février 19:05, par Abbé Philippe Laguérie
Bien chère Marie Alix,
Avant de traiter d’un sujet aussi délicat, il faut savoir de quoi l’on parle. Aussi, avant toutes choses, je vous propose la relecture des trois formules de prières pour les juifs, du Vendredi saint.
1/ la formule du missel de 1962, suppression faite du fameux « perfidis  » décidée par Jean XXIII en 1959. « Oremus et pro (perfidis) judeis : ut Deus et Dominus noster auferat velamen de cordibus eorum ; ut et ipsi agnoscant Jesum Christum Dominum Nostrum. Oremus. Flectamus genua. Levate. Omnipotens sempiterne Deus qui Judeos etiam a tua misericordia non repellis ; exaudi preces nostras, quas pro illius populi obcaecatione deferimus ;ut, agnita veritatis tuae luce, quae Christus est, a suis tenebris eruantur. Amen.  »
2/ La formule du missel de Paul VI de 1969 : « Prions pour les Juifs à qui Dieu a parlé en premier : Qu’ils progressent dans l’amour de son Nom et la fidélité à son alliance. (silence). Dieu éternel et tout-puissant, toi qui a choisi Abraham et sa descendance pour en faire les fils de ta promesse, conduis à la plénitude de la rédemption le premier peuple de l’Alliance, comme ton Eglise t’en supplie. Par Jésus, Le Christ, notre Seigneur  »
3/ La formule du pape Benoît XVI, proposée et rendue obligatoire par la note de la Secrétairie d’Etat le 4 février 2008 : « Oremus et pro Judeis ; ut Deus et Dominus noster illuminet corda eorum, ut agnoscant Jesum Christum salvatorem omnium hominum.Oremus. Flectamus genua. Levate. Omnipotens sempiterne Deus, qui vis ut omnes homines salvi fiant et ad agnitionem veritatis veniant, concede propitius, ut plenitudine gentium in Ecclesiam Tuam intrante omnis Israë l salvus fiat. Per Christum Dominum Nostrum. Amen.  »
Quelques remarques factuelles, avant d’aller plus loin. J’ai rapporté la seconde formule pour mémoire : elle n’est pas l’objet direct de votre question ni de mon analyse. La pérennité de l’alliance ancienne demanderait évidemment une herméneutique sérieuse. Cette formule reste en vigueur dans la forme ordinaire et ne se trouve pas modifiée. Car la modification du pape actuel ne porte que sur la forme extraordinaire : elle remplace la première par la troisième, sans modifier en rien la seconde. Le Pape a choisi de ne pas imposer la seconde : nous en prenons acte.
On notera ensuite que le tapage médiatique actuel autour du « perfides  », qu’il soit journalistique ou traditionaliste, est simplement ridicule : voila plus de 50 ans que ce mot avait été officiellement retiré de la liturgie. Et je crois, pour en finir avec ce mot, qu’il faut comprendre pourquoi il était devenu un contre sens dans le vernaculaire. Car le mot latin désigne quelqu’un qui passe au travers de la Foi, à côté, outre, ce qui est manifestement le cas des juifs dont la plupart ne croient pas que Jésus soit le Messie d’Israë l et encore moins que ce Messie soit le Fils Unique de Dieu. Ils sont donc « perfides  » au sens latin du mot, objectivement, d’une qualification théologique. Mais la liturgie ne saurait les qualifier de « perfides  » au sens que ce mot revêt en français courant. La qualification morale et hyper-péjorative saute aux yeux et ne s’accommode guère du style d’une prière qui supplie Dieu et ne règle pas des comptes ! Dans le dictionnaire HATIER que j’ai sous la main, « perfide  » signifie : traître, qui manque à sa parole, déloyal. Le juif actuel, éduqué dans le talmudisme strict est sans doute aveugle (obcaecatio dans l’ancienne oraison, reprise par la nouvelle qui demande toujours une illumination) sur la messianité de Jésus et plus encore sur sa divinité : c’est un fait. Mais nul n’a le droit, surtout en citant à tort la liturgie traditionnelle, de penser qu’il soit un traître, un homme qui manque à sa parole (laquelle ?), un homme déloyal. Relisez les textes de Saint Paul pour vous en convaincre : il parle bien d’un voile sur leurs yeux (et l’on peut déplorer que cette forte image paulinienne ait disparue) mais il n’affuble les juifs de qualificatifs redoutables (2 Thess ou Gal par exemple) que dans la mesure où ils persécutent les chrétiens et empêchent la diffusion de l’Evangile. Ne pas tout confondre, s’il vous plaît. Il les aime passionnément, de toute évidence et voudrait être anathème lui-même pour leur salut !
Les éléments de l’ancienne oraison se trouvent tous dans la nouvelle, une certaine violence des termes ou de références en moins. Tous mal compris, comme on va le voir. La théologie y est strictement la même, c’est évident. La référence supprimée au « voile posé sur les cÅ“urs  » n’était pas du tout péjorative chez saint Paul (2 Cor 3. 15) puisque c’est Dieu qui pose le voile et non les juifs et que l’Apôtre y ajoute aussitôt : « dès que leurs cÅ“urs se seront tournés vers le Seigneur, le voile sera levé  ». On sait que ce voile est celui que Moïse mettait sur son visage pour cacher aux fils d’Israë l la gloire passagère de son sublime contact avec Dieu (idem 3.13). Quel changement de perspective !
Mais Saint Paul revient deux fois : dans la volonté salvifique universelle de l’épitre à Timothée et surtout dans la dernière demande « ut omnis Israë l salvus fiat  ». Avant que quelque agité de la contestation nous fasse une exégèse bizarre de cette phrase difficile, qu’il prenne garde quand même qu’elle est de Saint Paul (Rom 11.25) ! Car à première vue, Israë l pourrait désigner « l’Israë l de Dieu  » de l’épitre aux galates (6.7) qui est l’Eglise, ceux qui sont une « nouvelle créature  » dans le Christ et on ne voit pas bien pourquoi il faudrait le sauver. Ou bien il s’agirait seulement de l’Israë l de l’ancienne alliance et le « omnis  » n’a plus aucun sens. Saint Paul dit clairement ce que signifie là son « omnis Israë l  ». Citons-le : « c’est qu’une partie d’Israë l est tombée dans l’aveuglement jusqu’à ce que la masse des gentils soit entrée. Et ainsi tout Israë l sera sauvé  ». Et l’Apôtre d’expliquer le plan de Dieu qui fait désobéir pour faire miséricorde, les païens (devenus chrétiens) d’abord et les juifs ensuite (« jugement insondable  » s’exclame-t-il !). Il s’agit donc, dans la pensée de Saint Paul, de réunir enfin les deux parties d’Israë l, divisées à présent : celle de l’ancien testament y compris la génération apostolique avec la seconde qui doit rentrer en masse quand les nations seront gagnées. Le « omnis  » devient alors très clair : il manque dans l’Eglise la deuxième partie d’Israë l, tant que la plénitude des Nations n’est pas entrée ; « ut plenitudine gentium in Ecclesiam Tuam intrante  ». Toujours Saint Paul. Cette façon de prier pour les juifs est magnifique : elle appelle de ses vÅ“ux la réunification d’Israë l promise par l’Ecriture, dans l’Eglise, et donne à entendre à tous les non chrétiens que ce sont eux qui retardent la chose. « Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance, pour faire miséricorde à tous  ». (11.32). Avis à tous les polémistes primaires qui ne perçoivent pas la question des juifs comme un mystère que Dieu seul se réserve. Et pour s’en sortir, un bon conseil : relire l’épitre aux romains et s’aviser enfin que c’est bien plus intelligent que votre prêt à penser.
Quant aux inquisiteurs qui font observer (sur le Forum Catholique…) que Jésus n’y est pas appelé par son titre de Fils de Dieu, je leurs réponds qu’un homme simple ne saurait être le Sauveur de tous les hommes, allons ! Et que les juifs admettant (par illumination) que Jésus est le Messie et le Sauveur de tous les hommes viendraient évidemment à la perception de sa divinité. En outre, je signale à ces érudits que le « per Christum Dominum  » final signifie « par le Christ Seigneur  » et que le mot Seigneur au singulier, avec majuscule « Le Monsieur  » (en hébreux « Adonaï  » en grec « Kyrios  ») est celui que les juifs employaient pour désigner Dieu parce qu’ils s’interdisaient par respect de prononcer son vrai nom « Jahvé  ».
Je prendrai donc cette magnifique prière parce que c’est un ordre, mais aussi parce qu’un pape qui connaît si bien Saint Paul mérite, appelle, notre piété filiale.